Ou comment organiser des petits-déjeuners autour de crêpes a permis de fédérer tout un étage, et m’a permis de mieux comprendre la psychologie de mes collègues.
J’ai commencé ma carrière chez un grand opérateur français avec un nom coloré. Si le bâtiment qui accueillait alors mon équipe abritait plusieurs centaines d’employés, la majorité de mes collaborateurs directs travaillaient dans d’autres locaux, en région parisienne et en province.
Aussi, lorsqu’au gré d’une restructuration des équipes, je me retrouvai d’un coup d’un seul catapulté à l’étage du dessus, j’eus l’impression de revivre mon premier jour. Cet étage était pourtant en tout point semblable à celui d’où je venais. Son implantation était la même, le mobilier était le même, même la moquette semblait avoir été tachée aux mêmes endroits. Malgré cet air familier, je pénétrai cependant dans une terra incognita. Par leurs habitudes, leurs manières d’être et d’interagir, les autochtones conféraient à cet espace une atmosphère résolument différente.
Trois éléments m’aidèrent à prendre mes marques :
- Mon naturel, grâce auquel je nouai rapidement des relations de proximité,
- Mon nouvel emplacement, premier bureau à la sortie des ascenseurs, qui me facilita la compréhension des codes de l’étage,
- Mon heure -très matinale- d’arrivée au bureau, qui me permit, depuis mon poste avancé, de voir les allers et venues des occupants.
Les mois passèrent et je constatais qu’il manquait à cet open space un je-ne-sais-quoi. Mon cercle de collègues proches constituait ce petit îlot de bonne ambiance confortable au milieu de l’étage. Pourtant, jour après jour, je croisais et saluais les mêmes personnes, sans parfois connaître leurs noms, sans jamais véritablement prendre le temps ni me donner la peine de dépasser ce simple bonjour de politesse… J’étais devenu en partie coupable de cette situation qui me gênait. Que pouvait donc faire le jeune employé que j’étais pour briser la glace et faire souffler un vent de convivialité sur ce plateau ?
C’est dans ce contexte que me vint une idée. Organiser un petit-déjeuner au beau milieu de l’open space. Et comme la confection de crêpes est pour moi une passion dévorante (#BeurreSucreForever), je fis de cette préparation l’étendard de l’événement qui se trouva baptisé « Crêpathon ».
Une dizaine de jours avant cette grande première, j’envoyais un mail à toutes les personnes de l’étage que je connaissais. J’y expliquais le concept et laissais la liberté à chacun de faire suivre l’invitation. Je placardais aussi, non loin de mon bureau (idéalement placé à l’entrée de l’open space, rappelons-le), un panneau sur lequel chacun pouvait indiquer ce qu’il comptait apporter le jour J : crêpes, garnitures, jus de fruits, sodas…
Je ne voulais surtout pas rentrer dans une démarche de financement officiel qui aurait apporté son lot de contraintes, je souhaitais que cela reste spontané, volontaire. Un crêpathon devait être un événement par l’open space, pour l’open space, sans rattachement hiérarchique aucun.
Le premier de ces crêpathons ne rassembla qu’une dizaine de mes collègues, et évidemment les plus proches. Un premier objectif n’en était pour autant pas moins atteint : nous avions une occasion, non strictement professionnelle, d’échanger et de nous découvrir.
Fort du succès de cette première édition, je m’appliquais par la suite à choisir les dates pour éviter vacances scolaires et autres événements impliquant des absences. Dans mes heures libres, je m’aventurais toujours un peu plus loin dans l’open space pour y recueillir les noms de futurs participants. Et chaque jour de crêpathon, dès qu’un visage inconnu passait devant le “banquet”, je l’invitais formellement à nous rejoindre.
A mes yeux, l’objectif fut véritablement atteint lorsque des collègues d’autres étages s’associèrent à l’événement, que l’étage fut connu comme “l’étage-où-l’on-mange-des-crêpes” ou que des inconnus vinrent me demander à être invités la prochaine fois.
Puisqu’il est du ressort d’un bon PO/PM que de s’assurer de la mesure de la performance, voici quelques KPI intéressants :
Pas moins de 23 crêpathons avaient été organisés lorsque je quittai finalement l’entreprise
Pour ne compter que ma contribution, 23*50 = 1150 crêpes produites et dégustées par les équipes
1 seul accident à déplorer : une amorce maladroite d’un siphon de Chantilly (maison, s’il vous plaît) qui retapissa moquette, mobilier et collègues, pour un fou-rire matinal mémorable
Quelques milliers de calories prises… mais la proximité de la coulée verte du Sud de Paris nous facilitait la perte de cet apport
Mais surtout, ce furent des heures de convivialité, des amitiés nouées, des discussions animées
Si je devais exprimer rétrospectivement un regret, je mentionnerais celui de ne pas avoir plus réussi à faire participer le management. Si certains managers me félicitèrent à plusieurs reprises pour l’initiative et se joignirent de bon cœur à l’événement, d’autres ne s’y associaient pas, peut-être par peur d’y être vus “comme des chefs” et de s’y sentir mal à l’aise.
Et si je vous disais que ces Crêpathons, en plus d’être un catalyseur de bonne ambiance, constituaient un merveilleux outil d’évaluation psychologique, à même de reléguer ce bon vieux MBTI au rang d’artefact !? Pour cela, il faudra vous aventurer dans la seconde partie de l’article…